Le Monde du 8/12/2017
Chronique. On s’est habitués. On n’y prête plus attention. On clique,
on tourne la page, on change de chaîne. On a banalisé Donald Trump. On oublie
que cette personne qui trouve le temps de fouiller les sites de l’extrême
droite raciste, qui scanne à plaisir les publications numériques des
théoriciens du complot et autres suprémacistes blancs, est le président des
Etats-Unis. Il est à la tête de la plus puissantes des démocraties de la
planète.
Il est responsable de
l’image de la démocratie. Et c’est lui, le 45e président
américain, qui s’attache ainsi à sélectionner soigneusement des vidéos bidon
sur lesdits sites, puis à les diffuser aux 43 millions de fidèles de son
fil Twitter !
Lire aussi : Donald Trump relaie des intox islamophobes
La presse interroge les
porte-parole de la Maison Blanche : comment Trump est-il tombé sur ces
montages vidéo destinés à discréditer les musulmans du monde entier ?
Réponse : le président fait lui-même ses recherches. Ces derniers jours
ont pourtant été chargés. Ils ont vu la semaine du 27 novembre au
3 décembre s’achever sur le vote par le Sénat de la plus grosse baisse
d’impôts que les Etats-Unis aient connue depuis 1986. Ils ont vu Donald Trump
reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël – et compliquer un peu plus la
reprise d’un éventuel dialogue israélo-palestinien.
Lire aussi : Trump reconnaît Jérusalem comme capitale d’Israël, une
décision historique et unilatérale
Apparemment, ces
événements n’ont rien à voir entre eux. Pourtant, ces journées-là représentent
la quintessence du trumpisme.
Commençons par l’insulte
faite au Royaume-Uni. Patouillant dans le fumier des sites de l’ultradroite
raciste, Trump sélectionne trois vidéos de Britain First – groupuscule
britannique spécialisé dans les provocations anti-islamiques.
Visions hallucinées
On imagine la
scène : le successeur d’Abraham Lincoln cliquant sur trois montages
racistes – censés montrer des musulmans agressant des non-musulmans – puis
assurant leur diffusion. Il s’agissait de faux et d’images éditées hors de leur
contexte.
Londres a protesté, Trump
ne s’est pas excusé. Ses porte-parole l’ont défendu : le président a voulu
attirer l’attention sur la violence islamiste. Cela l’autorise à
détourner des images. Trump est dans son univers : mentir, manipuler,
monter une communauté contre l’autre, diviser.
Dans son édition
d’octobre, le mensuel Vanity Fair cherche à comprendre. Il
interroge cinq historiens. A qui peut-on comparer Trump ? La Maison
Blanche a déjà connu quelques scènes exotiques – du républicain Richard Nixon
sombrant dans le cognac lors du scandale du Watergate au démocrate Bill Clinton
baissant son pantalon devant une stagiaire. Mais des menteurs compulsifs obsédés
par leur propre personne, des ego dérangés passant de l’autoadulation à
l’autocommisération, des hommes en proie à des visions hallucinées – Trump a vu
des « milliers de musulmans » massés sur le pont de
Brooklyn pour applaudir les attentats du 11 septembre 2001, des titulaires
d’un QI incertain convaincus de leur supériorité intellectuelle, non, il n’y en
a pas eu, disent les historiens.
Une réforme fiscale de nature religieuse
Les élus républicains ont
pris la responsabilité historique de soutenir cet homme. A la sauvette, les 52
sénateurs du Grand Old Party lui ont donné, le 2 décembre, sa première
victoire : le vote – qui sera confirmé par la majorité républicaine à la
Chambre – de la réforme de la fiscalité. Il organise un énorme transfert de
richesse au profit des entreprises et des plus riches des Américains. Il
abaisse le taux de l’impôt sur les sociétés (de 35 % à 22 ou 20 %)
afin, notamment, de lutter contre la délocalisation fiscale. L’Etat compensera
la baisse de ses revenus en taillant dans les dépenses sociales.
Ce vote est de nature
religieuse. Il obéit à un article de foi républicain : toute baisse
d’impôt est dictée par Dieu. Surtout quand elle soulage les riches parce qu’ils
redistribueront, sous forme d’investissements et de hausses des salaires,
l’argent ainsi récupéré. Cela s’appelle la « théorie du
ruissellement ». Elle ne s’est jamais avérée et les économistes la rangent
sous l’étiquette de « l’économie vaudoue ». Outre que la réforme se
traduira par une hausse substantielle de la dette américaine, elle va
manifestement à l’encontre des intérêts d’une partie de l’électorat trumpiste.
Trump s’est fait élire
sous la bannière de la révolte sociale. Il est le défenseur des
laissés-pour-compte de la mondialisation. Il s’affiche comme le porte-parole
des « petits Blancs », privés de leur emploi, de leur dignité, de
leur santé, par l’accélération libre-échangiste et technologique des trente
dernières années.
Concilier populisme et politique économique
Seulement voilà, Trump
est l’élu d’un Parti républicain qui s’est donné pour tâche de démolir l’Etat
social rooseveltien, qui diabolise l’impôt, l’assurance-santé et
l’expansionnisme de l’Etat fédéral. Richissime promoteur immobilier, Trump
s’est volontiers converti au catéchisme républicain. Mais il doit en permanence
résoudre cette contradiction : concilier son populisme avec sa politique
économique.
C’est là qu’intervient
son activisme quotidien sur Twitter. Trump sait qu’une partie de la révolte
sociale est d’origine culturelle. Contre l’élitisme libertaire du Parti
démocrate, les républicains ont su gagner une partie de l’électorat populaire.
Trump entretient son public. Il cultive, et exploite, le désarroi de l’opinion
face à l’immigration, à l’islamisme, à l’étranger – déployant ce discours
victimaire d’une Amérique malmenée par tous les maux de l’époque.
Pour le moment, ça
marche. Les historiens peuvent dire, avec raison, que cet homme a dégradé la
démocratie américaine comme elle ne l’a jamais été et éreinté son image dans le
monde entier. Il reste cette réalité : le noyau dur électoral du trumpisme
tient bon, régulièrement revitalisé par les Tweet du patron.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/07/trump-a-degrade-la-democratie-americaine-comme-jamais-et-ereinte-son-image_5225910_3232.html#ugJB9i6ci4zPZPw7.99
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