PORTES ET FENÊTRES, septembre 2012

Portes et Fenêtre


Un salon moderne, une jeune femme bien installée dans un fauteuil un gros casque sur les oreilles. On sonne puis on entend au loin une porte s’ouvrir et des bribes de paroles. Un jeune homme pousse la porte et entre dans la pièce.

LUI
A en croire ce que vos gens me disent, la fatalité m’amène, une fois de plus, à vous rendre visite précisément le jour de votre ‟teuf hebdomadaire?

ELLE  (Ôtant ses écouteurs et débranchant le casque, ce qui connecte les enceintes de la chaîne hi-fi qui diffuse de la musique techno)
C’est vous mon ami. Que disiez-vous?

LUI
Je disais que j’ai réalisé, mais trop tard, que nous étions mardi et que sous peu votre salon sera envahi d’une foule de vos amis. Je vais donc m’échapper bien vite et vous laisser à vos danses échevelées.

ELLE
Restez plutôt pour me tenir compagnie, la moitié de mes habitués sont en vacances et les autres auront été découragés par ce temps de décembre en juillet. Je songeais même à faire allumer un feu de cheminée. Au moins refermez bien la porte car ce courant d’air me glace les os.
(Il referme la porte)

LUI
Béni soit ce temps d’hiver, j’échappe ainsi à la cohue de vos intimes à défaut d’échapper à votre musique étourdissante !

ELLE
N’en demandez pas trop, je peux me passer de mes amis mais pas de la musique et puis cessez de ronchonner et tâchez plutôt de me distraire. Tenez, aidez-moi de vos lumières pour une question de fenêtre sur laquelle je bute.

LUI
Que puis-je faire pour vous aider ? Est-ce une fenêtre ouverte qui provoque ce courant d’air ?

ELLE
Nenni, vous n’y êtes pas du tout.

LUI
 Est-ce à l’inverse, une fenêtre bloquée que vous ne pouvez plus ouvrir.

ELLE
Non plus, si vous cessiez un instant de m’interrompre je pourrais vous expliquer ce dont il s’agit. 

LUI
Il faut pourtant qu’une fenêtre soit ouverte ou fermée.

ELLE
Une porte, il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée.

LUI
Une porte à présent ? S’agit-il d’un problème de fenêtre ou de porte à la fin ?

ELLE
Mais non, je dis que c’est « Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée »...  si tant est que vous vouliez faire allusion à la pièce de Musset.

LUI (faisant mine d’avoir mal entendu à cause de la musique)
Une pièce de musée ?

ELLE
(En détachant exagérément les syllabes)                                                                                          Une pièce de Musset, Alfred de Musset, vous le faites exprès ! Ou alors c’est qu’il faut faire soigner votre presbyacousie papy.

LUI
Presbyacousie ! Que voilà un bien grand mot ! Attendez donc, voulez-vous dire par là que j’entends mieux de loin que de prés, ce serait bien étrange non ?

ELLE
Ne vous faites pas plus ignorant que vous ne l’êtes, le préfixe  presby  dans Presbyacousie comme dans « presbytie » signifie vieux, du grec presbus !

LUI
Du grec prépuce ? De mieux en mieux ! Quel rapport entre un prépuce et mon ouïe qui baisse.

ELLE
Continuez et je chausse de nouveau mon casque si bien que vous n’aurez plus le tracas d’entendre ma musique ni d’ouïr mes propos car je ne dirai plus rien.

LUI
C’est justement cette musique qui m’empêche de bien vous entendre.
(Elle baisse le volume de la chaîne)

ELLE
Voilà ! Êtes-vous satisfait à présent et allez-vous enfin parler sérieusement ?

LUI
Merci, je vous promets d’être sérieux. Mais je vous préviens que la mécanique n’est pas mon fort, du moins tant qu’il ne s’agit pas de mécanique quantique. D’ailleurs savez-vous qu’en mécanique quantique une porte peut très bien être ouverte et fermée tout à la fois, tout comme le chat de Schrödinger qui peut être vivant et mort en même temps. Voulez-vous que je vous décrive ce paradoxe.


ELLE
Oh le vilain stratagème ! Tous ces tours, détours et circonlocutions sur les portes et les fenêtres pour en arriver là ! Vous ne saviez qu’inventer pour  amener la discussion sur le dernier sujet que vous aurez lu dans je ne sais quelle revue de vulgarisation. Eh bien non ! Pas ce soir ! vous ne m’infligerez pas une de vos leçons de physique au prétexte que je vous demande de m’aider à résoudre un problème de fenêtre sans rapport avec la mécanique quantique, ni du reste avec la mécanique classique.

LUI
A votre aise, continuez donc à laisser en friche toute une partie de votre cerveau si brillant par ailleurs. Libre à vous de vivre dans un Univers sans vous soucier des lois qui le gouvernent ni de son  origine ou de son avenir. Et je ne vous parle pas des autres Univers. Parce que vous ne le savez peut-être pas mais notre Univers n’est que l’un des multiples Univers qui peuplent le Multivers.

ELLE
Cher ami, vous faites grand cas de toutes ces découvertes mais laissez moi vous dire une chose: Votre Univers qui s’étend sur des milliards d’années lumière, vos fabuleuses galaxies et vos particules étranges et impalpables, toute ces connaissances dont vous vous délectez sont des entités purement abstraites et les preuves de leur existence ne reposent guère que sur des calculs de probabilités. Jamais vous n’y aurez d’accès direct alors que dans le même temps vous ignorez des réalités concrètes, vous ne connaissez rien de vos voisins de palier et je gage que vous n’avez pas la moindre idée de la vie quotidienne de votre servante. Soyez donc un peu plus attentif à l’univers où vous évoluez tous les jours et un peu moins à ceux que ni vous ni personne ne pourra jamais atteindre.

LUI
Aïe ! Voici une volée de bois vert dont je me souviendrai.

ELLE
Pardonnez-moi si j’ai été un peu sévère. Je sais bien que vous vous intéressez aussi à des choses plus concrètes mais quand vous prenez votre ton... comment dire...

LUI
Pontifiant, dites le donc !

ELLE
Non, je dirais professoral pour être plus gentille.

LUI
Merci pour votre indulgence. Laissez-moi tout de même présenter ma défense. Certes, la connaissance de l’âge de notre univers ou les hypothèses sur la façon dont il est né ne changent pas grand chose à notre vie quotidienne mais sans ces connaissances qu’aurions-nous à opposer à l’obscurantisme des bigots de toutes religions qui nous cernent et dont vous êtes la première à vous plaindre.
ELLE
Voltaire et Diderot ne connaissaient rien des trous noirs et des supernovæ et Darwin n’était pas encore né lorsqu’ils ont entrepris de combattre efficacement tous les obscurantismes.

LUI
Trous noirs et supernovæ, je suis heureux de constater que vous avez tout de même tiré profit de certains de mes discours pontifiants.

ELLE
Je peux même vous avouer qu’ils me fascinent par moment. Mais ce soir je ne suis pas partante pour ce trip. Restons donc sur cette note de réconciliation et revenons à ma fenêtre.

LUI
Fort bien. Qu’en est-il de vos fenêtres pour que vous y reveniez ainsi sans cesse ? Il ne s’agit ni  d’ouverture ni de fermeture. Laissez-moi deviner, vous voulez les faire insonoriser pour poursuivre vos teufs sans encourir les foudres de vos voisins. J’ai une autre idée : Echangez vos ‟teuf” du mardi et leurs musiques barbares pour des tête-à-tête romantiques avec souper aux chandelles et musique douce.

ELLE
Et en quelle compagnie ces tête-à-tête romantiques, avec vous ?

LUI
Oh je n’oserais même pas en rêver. Vous appréciez un peu mes visites quand vos amis vous font défaut, vous avez même parfois la bonté de prêter une oreille bienveillante à mes discours scientifiques mais pour les soirées romantiques vous pencherez, j’en suis sûr, pour ce jeune homme avec qui vous passez des heures à écouter du rock.

ELLE
Sachez que ce n’est pas du rock mais de la techno. Mais dites moi, ne seriez-vous pas un peu jaloux ?

LUI
Jaloux, moi ? À quel titre pourrais-je me permettre d’être jaloux ?

ELLE
A aucun titre en effet, car vous-même ne préférez-vous pas  la compagnie de votre jeune... comment dire,  votre protégée ou votre favorite ? Bref, la jeune personne que l’on voit souvent à votre bras ces derniers temps?

LUI
C’est donc cela que l’on vous a rapporté sur mon compte ?

ELLE
Oserez-vous le nier ? 


LUI
Vos amis n’ont de cesse que de me noircir à vos yeux. Mais ce danseur qui ne manque aucun de vos mardis, allez-vous me dire qu’il s’agit seulement de votre professeur de rock?

ELLE
Techno, je vous ai dis que c’était de la techno papy, ou parfois du métal. Allons, je vous passe votre protégée et permettez-moi de garder mes cavaliers. A présent revenons, si vous voulez bien, à mon problème de fenêtre.

LUI
Je suis votre serviteur, mais je vous ai prévenu : le bricolage n’est pas mon fort et vous trouverez certainement un expert en fenêtre parmi vos amis du mardi soir. Ou plutôt, tenez, je peux vous recommander à la jeune femme qui m’appelle régulièrement pour me proposer de changer mes fenêtre en bois pour des fenêtres en aluminium bien plus efficaces pour combattre le froid.

ELLE
Merci bien, elle m’appelle aussi chaque fois que je suis occupée à quelque tâche importante ou qui ne souffre aucune interruption. Mais je vous ais déjà dis que ce n’est pas de cela qu’il s’agit et mon problème est tout autre.

LUI
Et ne peut pas être résolu par l’un de vos teuffeurs.

ELLE
Décidément c’est donc bien cela, vous êtes jaloux jusqu’à l’obsession.

LUI
Eh bien puisqu’il faut l’avouer, oui je suis jaloux. Et autant vous le dire aussi : je vous trouve belle et désirable et de jour comme de nuit je pense à vous.

ELLE
Nous y voilà. Vous vous croyez obligé de céder à cette manie commune à tous les hommes. Sitôt que vous êtes seul avec une jeune femme vous vous dites ‟ et si je tentais ma chance” Mais dans ce cas faites le avec un peu plus d’esprit et trouvez des compliments un peu moins convenus.

LUI
Et comment faudrait-il vous le dire ?  ‟ Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour”, ou ‟Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d'amour”. Vous prétendez  n’entendre de ma part que d’innocents badinages mais on ne badine pas avec l’amour.

ELLE
Encore !

LUI
Encore quoi ?
ELLE
Encore rien. Mais je vais vous répondre sérieusement: sachez bien que je serais plus que fâchée, indignée, s’il vous venait à l’esprit que je pourrais remplacer votre danseuse.

LUI
A ma « danseuse », comme vous dites, je n’ai jamais rien promis d’autre qu’une amitié, une amitié parfois disons... galante mais une amitié tout de même. Et au risque de me voir définitivement banni de votre salon je vais vous dire ce que je n’osais vous dire jusqu’ici: Pour vous je n’éprouve pas d’amitié, je vous aime.

ELLE
Eh bien je suis bien aise que vous n’éprouviez pas d’amitié pour moi.

LUI (en l’interrompant)
Vous ne m’avez pas entendu je crois.

ELLE
Oh si, je vous ai bien entendu et je vous dis que je suis disposée à vous écouter parler d’autre chose que d’amitié.
Alors, vous voilà muet tout à coup !

LUI
Je ne sais plus que dire et par ou commencer. Donnez-moi le temps de réaliser. Tenez, expliquez-moi votre problème de fenêtre le temps que je reprenne mes esprits.

ELLE
Oubliez ce prétexte invoqué pour entretenir la conversation, sachez seulement qu’il ne s’agissait ni de menuiserie ni de serrurerie mais  d’écriture et sachez aussi que je pense tenir désormais de quoi résoudre le problème. A présent parlez-moi d’autre chose que d’amitié ou de fenêtre, j’ai hâte de vous entendre.

LUI
Eh bien je ne trouve  rien de brillant ni d’original à vous dire : je vous aime et vous veut comme épouse. Voilà tout ! Mettez-moi dehors à présent si vous le voulez.

ELLE
Je vous mets dehors... mais je vous suis du même pas. Je devais justement donner à mon bijoutier un bracelet à réparer, nous pourrions en profiter pour choisir nos bagues de fiançailles.



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