L’ESCALE Juillet 2009
La première semaine de navigation les rafales de vents
n’avaient cessé de balayer le pont. Face aux vagues le bateau semblait prendre
son élan pour les franchir d’un seul bond. Pendant un court instant le moteur
s’emballait puis changeait de ton comme s’il reprenait son souffle pour
repartir de plus belle. Après de brefs moments d’accalmie l’horizon
s’assombrissait de nouveau, les vagues se faisaient plus fortes et des paquets
d’eau de plus en plus gros recommençaient à s’abattre sur le pont. De lourds
nuages noirs apparaissaient à l’horizon surmontant d’épais rideaux de pluie. Le
bateau se dirigeait droit dessus et en ressortait ruisselant de toutes parts.
Enveloppé d’un ciré l’homme se cramponnait au bastingage offrant son visage au
fouet de l’averse d’eau douce.
Les jours suivant les éléments s’étaient progressivement
calmés laissant s’établir un ciel limpide et une mer d’un bleu profond barrée
d’un long sillons blanc, seul témoin du déplacement du navire avec le
ronronnement du moteur devenu parfaitement régulier. Il pensait alors à la
monotonie des quatre semaines à patienter avant la première escale et cette
perspective lui faisait regretter les grains des premiers jours.
Tous les matins il s’absorbait dans les tâches de contrôles
quotidiens et il meublait les après-midi en lisant au soleil. La nuit tombée il
aimait observer longuement le ciel et y repérer tous les astres qu’il pouvait
reconnaître. Restaient les repas avec les plaisanteries salaces des marins
auxquels il ne pouvait échapper et les clins d’œil complices auxquels il
répondait par des mimiques pouvant être assimilées aussi bien à des marques de
réprobation qu’à des signes de complicité. Plaisanteries, anecdotes et récits
tournaient toujours autour du même thème: le sexe, le sexe, le sexe. N’y
avait-il donc rien de plus important que le sexe dans la vie de ces
matelots ? Fort heureusement il avait une passion toute fraîche et
avait emporté avec lui une collection complète d’Art Press ainsi que
quelques livres sur la peinture contemporaines, le tout récemment acquis sur
eBay pour quelques Euros. Il pouvait donc se plonger de temps en temps dans un
univers beaucoup plus stimulant.
Après dix jours consécutifs de beau temps une légère brise se
leva. Des vols d’oiseaux annonçaient la proximité d’une terre et les odorats
aiguisés par le sevrage olfactif des semaines précédentes ne tardèrent pas à
détecter de fortes effluves de terre apportées par le vent. Il observait d’un
oeil narquois les marins fouillant leurs poches à la recherche de leurs
téléphones cellulaires. Un calcul mental lui permit de déterminer quel réseau
ils étaient susceptibles de capter et pendant combien de temps il resterait
accessible. Quelques minutes avant que le dernier relais ne soit définitivement
hors de portée il se résolut à allumer son propre portable négligemment, comme
s’il cherchait seulement à vérifier ses calculs. Une série de bips signala
l’arrivée de messages. Il referma l’appareil sans les lire. Ce soir là la
proximité de la terre lui valut un magnifique coucher de soleil d’un violet de
plus en plus profond à mesure que la nuit tombait. Il absorba rapidement son
dîner pour retourner sur le pont et se plonger dans la contemplation des
myriades d’étoiles, seul avantage à ses yeux de ce temps sans nuages. Petit à
petit les bruits de voix s’éloignèrent et les hublots s’éteignirent un à un. En
l’absence de lune et avec un minimum de lumières parasites la bande zodiacale
traversait tout le ciel. Il contempla longuement une magnifique voie lactée,
repéra Jupiter et Vénus, parfaitement visibles à l’horizon, identifia la
galaxie du triangle et réussit à deviner la galaxie d’Andromède. Il se décida alors à
rejoindre sa cabine. C’est seulement là qu’il s’autorisa à rallumer son
portable pour lire les messages reçus dans la journée. Trois messages
identiques de bienvenue sur le réseau, une promotion proposant une heure
de communication supplémentaire le week-end entre 22 heure et 6 heure du matin,
plusieurs correspondants non identifiés n’ayant laissé aucun message et un seul
SMS disant: « Ce sera avec
plaisir, je me suis libérée pour l’après-midi du 12 et je vous attendrai à 12 h
sur le quai n° 3. Cordialement, Marie. » L’écriture en langage clair et
avec toute la ponctuation de rigueur le fit sourire.
Il avait rencontré Marie lors d’une soirée chez une amie, quelques
jours avant son départ en mission. Marie était américaine, de passage à Paris
avant de rejoindre un laboratoire du CNRS qui lui avait proposé un post-doc
d’un an en biologie marine.
Marie devait avoir une trentaine d’années, un visage doux, les
yeux bruns presque noirs, les cheveux châtains rassemblés en chignon sur la
nuque à la mode ancienne. Elle observait ce petit monde avec un sourire amusé
mais bienveillant et répondait volontiers aux questions de toutes sortes sur
son travail, sa ville natale dans le Massachusetts ou son université. Elle
parlait le français avec un léger accent américain qui renforçait son charme
naturel. Il avait été attiré par quelque chose de mystérieux dans son
allure ; peut-être le contraste entre l’innocence de son sourire et les
courbes sensuelles de son corps. Elle lui fit irrésistiblement penser à
Angie Dickinson dans Rio Bravo! Lorsqu’elle annonça son prénom en lui tendant
la main il fût presque surpris qu’elle ne s’appela pas Angie mais il se dit que
Marie lui allait tout aussi bien.
Au cours de la conversation ils avaient réalisé son périple marin
comportait une escale dans la ville où se trouvait le laboratoire d’accueil de
Marie ; Il ne connaissait pas encore le planning de navigation détaillé et
avait proposé de lui signaler son passage dés qu’il en connaîtrait la date. Ils
pourraient ainsi poursuivre la discussion entamée à propos de la peinture
moderne dit-il ; il s’était d’ailleurs promis de visiter le musée de la ville
qui possédait une intéressante collection d’œuvres contemporaines et il lui
proposa de la découvrir ensemble, si elle était disponible le jour de l’escale.
Après avoir
pris connaissance de la date précise de l’escale il avait retrouvé le numéro de
téléphone de Marie et lui avait envoyé un message, tout en se disant qu’elle
n’y répondrait sans doute pas car il n’avait pas eu le sentiment de l’avoir
beaucoup impressionnée à Paris. Bonne surprise donc et une perspective au moins
de parler à quelqu’un de civilisé avant la fin de ses huit semaines de
navigation.
Les jours
suivants le bateau traversait une zone où le quadrillage des prélèvements à
effectuer était beaucoup plus serré. Le nombre de relevés quotidiens était
doublé. Les opérations de routine et l’étalonnage des analyseurs le
mobilisèrent bien au-delà de l’horaire habituel et lui laissèrent juste le
temps de manger rapidement et de dormir cinq ou six heures par nuit. Sitôt
sorti de cette période de travail intensif il s’offrit une bonne nuit de sommeil
suivie d’une grasse matinée avant de reprendre le rythme habituel :
Contrôles des instruments le matin et lectures au soleil l’après-midi. En
revanche les rêveries sous les étoiles n’offraient plus d’intérêt car un
croissant de lune de plus en plus lumineux vidait le ciel de tout autre objet
d’observation. Pendant cette période il regagna donc sa cabine sitôt le dîner englouti.
Dans son
désœuvrement il repensait souvent au message de Marie, à leur conversation à
Paris et à leur future rencontre. En fait de
conversation c’est surtout lui qui avait parlé presque sans discontinuer,
probablement pour résister à la tentation
de plonger son regard dans le large
décolleté ovale qui laissait voir la naissance de ses seins, bronzés et
joliment rebondis, que mettait en valeur, sans vraiment les cacher, un soutien
gorge de dentelle blanche.
A plusieurs
reprises il s’était efforcé de détourner les yeux de ce charmant spectacle mais
son regard rencontrait alors celui de la jeune fille et cela le rendait encore
plus mal à l’aise. Il s’était donc jeté à corps perdu sur le premier sujet de
conversation propre occuper son esprit et à le faire échapper au dilemme du
regard : ce fut la peinture américaine du 20e siècle. En lui
envoyant la proposition de rendez-vous il s’était dit que la pauvre jeune femme
avait sans doute passé la plus ennuyeuse soirée qu’ait jamais subit une
américaine fraîchement débarquée à Paris. Elle allait sans doute se défiler
sous un prétexte quelconque. Et voilà que non ! Question conversation il
allait falloir se rattraper et avec un peu de chance l’hiver sera suffisamment
avancé pour que le problème du décolleté ne se pose pas.
Les jours
suivant rien ne vint rompre la monotonie du voyage. Il se rasa la barbe laissée
vierge depuis l’embarquement.
Sa précédente
mission s’était déroulée dans l’Antarctique : 3 mois sans escale ni
distraction à part la conversation des matelots sur l’éternel
thème du sexe ! Tout juste de temps en temps un vol d’albatros qu’il
tentait d’identifier: albatros hurleurs, albatros royaux ou Albatros blancs à
front noir. Alors cette fois, une escale dans le monde civilisé, une ballade en
charmante compagnie et un peu de culture : une véritable aubaine ! Il ne put s’empêcher de vérifier à plusieurs reprises le message
de Marie et la carte de navigation pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’erreur
sur la date, l’heure et le quai annoncés pour l’escale. Une chance que Marie
n’ait pas été définitivement dégoûtée par ses envolées sur l'expressionnisme
abstrait et sur l'art conceptuel. Après tout il n’avait peut-être pas été si
barbant que cela ; elle l’avait peut être même trouvé assez brillant
puisqu’elle avait accepté si volontiers de le revoir !
Le
beau temps persista tous les jours suivants et il passa de longs moments sur un
transat avec pour tout horizon un bout de ciel bleu barré d’un mat et
surmontant un rectangle de mer traversé par les barreaux blancs du garde-corps.
Les deux gerbes de part et d’autre de l’étrave produisaient un agréable
chuintement le long de la coque avant d’aller former les bras du sillage qui
s’étalait loin derrière le navire. Il avançait laborieusement dans la lecture d’un livre en
anglais sur Pollock: “…It connects the moon with the feminine and shows the
creative, slashing power of the female psyche. It is not easy to say what we are actually looking at’’, il relisait trois fois, quatre fois les mêmes
phrases, il avait beau se concentrer, au
bout d’un moment il réalisait que son esprit s’était encore échappé et qu’il
n’avait pas la moindre idée de ce que l’auteur avait bien pu vouloir dire.
…Marie avait un fiancé. Mais d’après leur amie
commune cette liaison avait peu de chance de survivre à l’éloignement… Alors,
après tout, qui sait…
“… It is not easy to say what we are
actually looking at : a face rises before us, vibrant with power, though perhaps the image does
not benefit from labored explanations…’’ Il finit par abandonner cette lecture en se disant que de
toutes façons il allait falloir trouver un autre sujet de conversation sous
peine de passer pour un monomaniaque et de la lasser définitivement. Il chercha
un thème susceptible d’intéresser Marie. La biologie marine ? Il n’était
pas spécialiste du sujet mais il en savait assez pour entretenir une
conversation. Il essaya de se souvenir de ce qu’elle en avait dit lors de leur
rencontre mais de nouveau son esprit se mettait à vagabonder et le ramenait
immanquablement encore au décolleté. Il se dit qu’elle allait sans doute
lui poser des questions sur sa mission. Jusque là il s’était contenté d’enregistrer
les données sans chercher à les interpréter. Il trouva là un excellent sujet de
réflexion et une méthode pour passer le temps. Il se plongea alors dans
l’analyse des données recueillies. Il consacra plusieurs journées à tenter de
valider des modèles simulant les échanges océan-atmosphère sans réussir à
dégager de conclusion bien claire mais il recueillit suffisamment d’éléments
pour alimenter un début de théorie… et pour nourrir une conversation le cas
échéant.
Il
abandonna alors la recherche d’un thème de discussion pour une question
beaucoup plus prosaïque : comment justifier un détour par chez elle avant
d’aller à ce fichu musée ? Surtout ne pas laisser cette visite s’imposer tout
de suite. Il envisagea successivement plusieurs idées plus saugrenues les unes
que les autres : Demander s’il pourrait poser son sac quelque part avant
d’aller déjeuner? … Stupide ! Pourquoi aurait-il un sac tellement
encombrant pour une escale d’une demi-journée ? Prétendre qu’il n’y avait
plus d’eau douce sur le bateau depuis trois jours et qu’il avait un besoin
urgent d’une bonne douche chaude. Grossier ! Le moins compromettant serait
de lui demander si elle avait trouvé l’appartement de ses rêves en espérant
qu’elle lui proposerait de le visiter. C’était plus dans sa manière : Avec
les femmes il attendait toujours un signe d’encouragement avant de s’avancer
lui-même. Finalement il décida de laisser venir et d’improviser au gré des
circonstances. Si aucune opportunité bien franche ne se présentait il
s’arrangerait pour créer une atmosphère propice pendant le déjeuner et après
quelques verres de bon vin il pourrait lui dire combien il avait pensé à elle
depuis leur rencontre, combien il avait aimé son sourire mi-amusé mi-ironique
et son regard captivant. Elle lui dirait peut-être alors qu’il n’avait pas été
captivé que par son regard. En tous cas, si à ce stade elle n’avait pas
clairement repoussé ces avances il pourrait poser sa main sur la sienne et
alors la suite ne poserait plus aucune
difficulté.
Rassuré sur
cet aspect des choses il laissa ses pensées vagabonder librement. Il repensait
au message reçu tout en imaginant Marie en train de le tapoter sur le clavier.
Il lui prêtait tantôt son sourire d’Angie Dickinson et tantôt le visage sérieux
d’une écolière appliquée, prenant soin de ne faire aucune faute de français et
de ne manquer aucun signe de ponctuation. Portait-elle le chemisier de leur
rencontre? Il se rappela que le message avait été envoyé à 23h et quelque. Il
imagina alors Marie en nuisette s’apprêtant à se coucher. Comment étaient ses
seins libérés du soutien gorge ? Il décida qu’ils devaient pointer crânement
sous la toile. Mais peut-être était-elle couchée sur le ventre, les jambes
croisées en arrière tandis qu’elle s’appuyait
sur les coudes pour manipuler librement le téléphone portable. Il imaginait les
épaules découvertes, la courbure des reins et la chemise de nuit remontant très
haut… Arrivé à ce stade il s’efforçait de penser à autre chose.
Le temps
passait vraiment lentement sur ce bateau d’autant qu’avec l’entraînement le
relevé des données n’occupait même plus qu’une petite partie de la matinée. Il
décida alors de resserrer
le quadrillage des points de mesure et
de doubler le nombre de prélèvements en profondeur puis de reprendre les tentatives
de modélisation. Le soir il vérifiait ses calculs en ajoutant
les résultats de la journée et il quittait son poste de travail le plus tard
possible dans l’espoir de s’endormir sitôt la tête sur l’oreiller. Le temps
passait plus vite mais Marie, chassée de ses pensées dans la journée, revenait
dans ses rêves. Le jour de l’escale approchant ceux-ci se faisaient de plus en plus
osés. Le dernier soir il n’arrivait pas à s’endormir ni à penser à autre chose.
Il revoyait Marie toujours en train de taper son sms ; bientôt il se mit en scène dans le
tableau ; il lui enlevait doucement le téléphone des mains et la prenait
dans ses bras… En imaginant la suite le désir devenait si fort que s’en était
presque douloureux. Il se dit qu’il ne pourrait pas s’endormir ni avoir un
comportement serein pendant leur rencontre et qu’il valait mieux faire tomber
la tension tout de suite de façon à avoir les idées claires le lendemain. Fort
de ces bons prétextes il ne contrôla plus ses pensées ni ses mains.
Il lui fallut
de longues minutes pour reprendre son souffle et un rythme cardiaque normal
avant de s’endormir paisiblement
Toute la
matinée du lendemain il se prépara à l’idée qu’elle pourrait ne pas être au
rendez-vous. A midi moins dix il était déjà devant la passerelle de débarquement.
Elle arriva à
midi précise et, l’ayant repéré sur le pont, elle lui fit un signe amical de la
main. De loin il devinait le sourire mi-tendre mi-ironique. Elle était sagement
vêtue d’un chandail à col roulé et d’une jupe plissée. Ils s’embrassèrent comme
de vieux amis. Il se dit qu’il aurait été bien ridicule avec les manœuvres
transparentes qu’il avait imaginées dans le but de se faire inviter chez elle
et il se promit d’attendre qu’elle émette d’abord quelque signe
d’encouragement. S’il n’en venait aucun c’est qu’il se serait fait des
illusions. Au moins il ne risquerait pas de lire des reproches dans ce joli
regard et il garderait ses chances pour plus tard.
Vous êtes mon
invitée lui dit-il, mais nous sommes dans votre ville alors je vous laisse
décider du programme de la journée dit-il, fort content de lui et de cette
entrée en matière.
Elle suggéra
un restaurant qui offrait d’excellents fruits de mer et un très bon Riesling à
un prix raisonnable. Il approuva avec enthousiasme, mais en entrant dans
l’établissement il dût cacher une légère déception : chaises métalliques,
tables recouvertes de nappes en papier,
lumière froide, rien à voir avec
l’ambiance intime, la vaisselle scintillante et les bougies qu’il avait
imaginées pour ce repas. Ils parlèrent de tout et de rien comme pour éviter de
laisser s’installer le moindre moment de silence. Fort heureusement le Riesling
apporta un peu de chaleur et au dessert ils étaient tout à fait à l’aise. En
sortant du restaurant elle lui dit avoir vérifié que le musée était bien ouvert
ce jour là et lança un « On y va ! » dans lequel il n’entrevit
aucune nuance d’interrogation. Le musée était désert, ils échangeaient leurs
impressions sur les œuvres exposées. Lui se demandait comment donner un tour
plus intime à cette visite. Il faisait mine de parler tout bas afin d’approcher
son visage plus prés du sien mais ils étaient seuls dans les salles et la
crainte du ridicule le retinrent d’aller plus loin. Vers les dernières salles,
voyant l’heure avancée il se fit violence et dans une pièce plus sombre il
s’apprêtait à passer son bras autour des épaules de la jeune femme quand une
bande d’enfants bruyants et leur institutrice
envahirent la salle auparavant déserte.
Quand ils
atteignirent la dernière pièce du musée il ne lui restait plus beaucoup
d’espoir. Une fois dehors ils s’arrêtèrent sur le trottoir, il se tourna vers
elle et ne trouva rien d’autre à lui proposer qu’une promenade à pied le long
des quais. Avec son sourire habituel elle lui dit qu’il était un peu tard à
présent, qu’elle avait passé un très agréable après-midi mais qu’elle était
obligée de filer. Il n’aurait pas pu dire si le sourire était indulgent ou
ironique s’il l’était plus ou moins que d’habitude.
Il revit
l’amie commune bien des années plus tard.
Elle lui apprit que Marie avait
épousé un jeune artiste français qui l’avait suivie aux Etats Unis où il
connaissait un certain succès.
Lui avait
passé brillamment sa thèse en climatologie. Il ne participait plus aux
campagnes de mesures en mer, remplacées d’ailleurs par des observations par
satellite. Quand il parcourait le monde c’était pour présenter son modèle
mathématique sur les échanges thermiques entre l’atmosphère et l’océan. C’était
lui aussi que l’on voyait sur les plateaux de télévision chaque fois que l’on
parlait du réchauffement climatique. En revanche sa vie sentimentale était
restée un peu terne. Aussi ressentait-il une impression de gâchis quand il lui
arrivait de penser à cette escale ratée. Certes, avec le temps le petit pincement
au cœur qui accompagnait ce souvenir se faisait plus discret. Il arrivait même
à ironiser sur cette occasion manquée en se disant qu’adolescent il n’aurait
peut-être pas dû prendre complètement à la rigolade tous les censeurs qui le mettaient
en garde contre les dangers de l’onanisme.
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